Né à Landivisiau (Finistère) en 1930, Xavier Grall est un journaliste, poète et écrivain Breton.
Xavier Grall s'installe à Paris dans les années '50.
Journaliste à "La vie Catholique", il collabore aussi dans les années '60 au journal "le Monde" et au mensuel "Bretagne".
Polémiste et rebelle, il publiera des livres à propos de François Mauriac, Arthur Rimbaud, James Dean, Bernanos...
Ayant fait la guerre d'Algérie, il publie aussi des enquêtes sur le sujet.
Revenu vivre en Bretagne à partir de 1973, il prend véritablement conscience de son identité bretonne.
A partir de là, ses publications vont principalement s'orienter sur la défense de la cause bretonne.
Avec ses amis Alain Guel et Glenmor, il fonde le journal nationaliste breton "La Nation bretonne".
Il publiera aussi une biographie du barde Glenmor en 1972.
Décédé fin 1981, Xavier Grall aura publié une bonne trentaine d'ouvrages dont des recueils de poésie.
Dans "Genèse et derniers poèmes" se trouve le texte : "Les Déments".
Les Déments
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments ?
Ils poussent des troupeaux souillés
Dans les vallons de tourbes
Et dans leurs caboches molles
Des cloches d’airain cognent
Des glas épouvantables
Et de torrides effrois
On les voit les déments du côté de Commana
De Botmeur et de Brasparts
Leur panse pourrie de cidres amers
Et de vinasses violettes
Effrayant les corneilles
Que les épouvantails angoissent
Ils bavent les déments comme des gargouilles
Des jurons fatidiques
Entre de hargneuses malédictions
Déments
Démons
Abandonnés
Boulimiques
Éthyliques
Ils traînent leur lourd célibat
Dans les hameaux sans femme
Nulle flamme ne brûle leur cœur
Nulle épouse n’attend leur pas
Ils vont dans leur propre pays
Comme des relégués et des maudits
Leurs guenilles griffées par les ronces
L’œil mi-clos la bouche torve
Ils s’impatientent d’une vie trop longue
Dans la pluvieuse misère des Monts d’Arrée
Effarés
Oubliés
Damnés
De rares souvenirs parfois illuminent
Leur mémoire rabougrie
Ils songent aux jours anciens
Des avoines et des luzernes
Aux grandes faux lumineuses
Dans le golfe des hautes herbes,
Aux moissons triomphales, ils rêvent
Dans les étés criblés d’hirondelles
Au Jabadao, à l’an-dro des fêtes de nuit
Ils songent aux truites rieuses et aux rivières
Aux plaisirs des bretonnes enfances
Parmi les ogives les chênes et les hêtres
Et parfois raclant des colères
Sur leurs derniers chicots
Ces crapauds humiliés de l’ère industrielle
Crachent des venins dans les coquelicots
Ivrognes
Sourds
Lourds
Cramoisis
Les déments de l’Arrée sans descendance
Éteignent les vieux clans campagnards
Des gerbes et des meules
Ils ont refusé l’exil, l’usine et l’encan
Et la vie qui marche a piétiné leur raison
Leur laissant le quignon la soif et la misère
Et les grands chiens galeux des désastres fermiers
Lèchent leurs pieds jaunes sous les tables rondes
Par les chemins noirs
De l’Arrée
Où vont-ils les déments
A quel orme
Pour quel suicide ?
Seuls ils rient tels des idiots
Des choses de la vie et des grimaces de la mort
Et l’aube bondissante les trouve ainsi
Affalés dans leur fêlure mentale
La soif des gnôles meurtrières et flamboyantes
Reprend alors leur esprit solitaire
Et c’est en titubant
A Botmeur, Commana et Brasparts
Qu’ils arpentent les chemins du néant
Face à la haine des pierres et au cynisme des ifs
Nos déments, nos semblables, nos frères…
Après avoir quitté Alan Stivell en 1977, Dan Ar Braz démarre une carrière en solo avec son premier disque instrumental "Douar nevez".
En 1978, il sort son deuxième album "Allez dire à la ville". Dans ce disque, il met en chansons cinq poèmes de Xavier Grall dont le très beau "Allez dire à la ville".
Dan explique que :
" C'est en 1977 que j'ai découvert la poésie de Xavier.
Ce fut pour moi un choc et les musiques sont venues tout de suite tant l'urgence de les chanter me hantait.
Ces chansons ce sont donc retrouvées sur mon deuxième album et d'autres un peu plus tard sur l'album "Acoustic".
D.Ar Braz
Sorti en 1982, "Acoustic" contient en effet deux autres textes de Xavier Grall : "les marins" et bien entendu "les Déments".
Dès les premières écoutes, j'avais été touché par cette magnifique chanson dont le texte contient de multiples images à la fois poétiques et très réalistes car il ne s'agit pas d'une chanson très gaie.
Pour les besoins des strophes musicales, Dan a raccourci certaines phrases et supprimé certains mots du poème original mais en respectant scrupuleusement la pensée de Xavier Grall.
En 1992, Dan a envie de regrouper les chansons de Xavier sur un seul disque.
Il décide donc de ré-enregistrer les sept titres de Xavier en leur ajoutant trois nouvelles compositions instrumentales.
Ce cd "Xavier Grall chanté par Dan Ar Braz est un nouvel hommage à cet écrivain trop tôt disparu.
A noter d'une part que ce poème "Les Déments" a aussi été récité dans un spectacle de Patrick Chemin qui (accompagné par un violoncelliste) avait mis ce texte à l'honneur en 1989.
D'autre part, Hervé Grall (le neveu de Xavier) qui est également chanteur et guitariste breton a aussi chanté certains textes de son oncle.
Comme je le disais plus haut, j'avais été touché par les mots de cette chanson qui est restée une de mes préférées de Dan Ar Braz.
35 ans après je l'écoute toujours (et la chante) avec la même ferveur tant ces mots gravés dans ma mémoire m'ont marqué.
En vacances en Bretagne en 1983 (les téléphones portables n'existant pas encore) nous attendions notre tour près d'une cabine téléphonique.
Près de nous un pauvre alcoolique était passé en titubant qui m'avait fait penser à tous ces "déments".
Je reverrai toujours cette image.
Ce qui était vrai au début des années '80 à propos de ces exclus de la vie l'est encore plus aujourd'hui.
Toujours plus d'exclus, de laissés pour compte dans cette société beaucoup moins tolérante qu'autrefois.
Déments, démons, abandonnés...abandonnés.
Encore plus qu'autrefois, tout peut très vite basculer.
Les déments nos semblables, nos frères, nos frères...
Claudine/canelle 31/10/2017 08:34